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Hervé de Portzmoguer et Marie la Cordelière

Avril 2012

Avec ce parfum de printemps qui s’élève ces jours-ci, ce titre peut avoir une connotation de « Roméo et Juliette ». Nous avons quelques excuses, il a donné lieu à beaucoup d’écrits, souvent romancés, si bien qu’il peut être difficile de dégager l’histoire de la légende.

Ces deux noms ne nous sont pas étrangers. Plougonvelin les donnant à une rue pour le premier, à un chemin pour la seconde, a préféré les séparer géographiquement, comme deux amants maudits, sans toutefois les éloigner plus qu’il ne faut, puisque le premier se situe du côté de Keryunan, la seconde du côté de Poulherbet … avec vue mer car c’est bien là que tout se passe.

Chaque mercredi estival nos amis de Bertheaume les font revivre l’espace d’une soirée. Et puis … et surtout … dans les semaines qui viennent vous ne pourrez les ignorer.

Pourquoi ? Parce que cette année 2012 est déclarée année Portzmoguer et le 10 août prochain sera célébré, en grandes pompes, à Bertheaume, le 500ème anniversaire de la disparition conjointe de l’un et de l’autre, dans une même conflagration qui a secoué, non seulement le proche horizon de nos prédécesseurs Plougonvelinois mais aussi, par répercussion, une bonne partie de l’Europe.

Qui étaient-ils ? Il n’est pas question de reprendre ici l’intégralité de l’histoire, le livre de Max Guerrout vient d’être réédité par Le Télégramme, il est aussi disponible à la Médiathèque.

A toute féminité, tout honneur … sans être l’amante un instant évoquée et bienque bâtie toute en douces rondeurs, Marie la Cordelière est une nef lancée en 1498 au Dourduff, proche de Morlaix, par la volonté d’Anne de Bretagne, duchesse et reine.

Sans rentrer dans les détails, elle est alors le fleuron de la fl otte bretonne et l’un des plus gros vaisseaux de son époque. Elle est destinée et employée dans un premier temps à lutter contre l’extension turque en Méditerranée puis à favoriser les intérêts en Italie des deux époux successifs de la reine.

La silhouette de ce navire est impressionnante, quatre à cinq mâts, des châteaux relevés à l’avant et à l’arrière pour mieux dominer l’adversaire mais qui rendent la manœuvre très délicate, une artillerie qui dépasse très largement la centaine de bouches à feu, de toute taille …

A l’occasion de son « Tro Breiz », en 1505, Anne de Bretagne visite sa nef et confie le commandement à Hervé de Portzmoguer dont la réputation est parvenue jusqu’à elle. Nous aurions quelques difficultés à établir le véritable « curriculum vitae » d’Hervé car peu de documents nous sont parvenus. Sa famille, ramage de la grande famille de Malestroit dont elle a repris dans ses armes les besants d’or sur champ de gueules, porte le nom d’un manoir de Plouarzel. Son lieu de naissance n’est pas connu très précisément … au manoir patrimonial ? ou comme cela est resté d’usage fort longtemps pour un premier enfant, à la maison maternelle ? … Or sa mère, Marguerite Calvez, est originaire du manoir du Prédic en Plougonvelin ! La date de sa naissance est située aux environs de 1470. Son nom apparaît d’ailleurs dans les archives de l’abbaye de Saint Mathieu en 1507 comme propriétaire de parcelles au terroir du Prédic. En 1503, il est excusé de service militaire comme étant employé aux convois. En effet, il loue cinq navires au roi de France pour encadrer et protéger les bateaux de commerce qui longent nos côtes. Il a quelques ennuis avec la justice car il va parfois au-delà de la mission reçue, pour son propre profit. Il est aussi en mauvaise posture dans une affaire de violence avec mort d’homme … mais cela n’est-il dans l’air du temps ? Cela nous montre que c’est un homme de caractère.

Circonstances : en 1511, les entreprises françaises en Italie ont fi ni par monter une partie de l’Europe contre la France. Dès 1512, Henri VIII d’Angleterre lance contre la France et la Bretagne une première attaque maritime. Le 6 juin la flotte anglaise jette l’ancre à Bertheaume … l’un des buts est de prendre Hervé au gîte … mais il est en mer, son manoir est incendié, entre autres exactions…

La Cour de France prend enfin la mesure de la menace et concentre une flotte à Brest qu’Hervé rejoint, le 2 août. Le 9, les veilleurs signalent l’arrivée des Anglais … la flotte franco-bretonne sort de Brest, mouille à Bertheaume … le 10, contournant Ouessant les voiles anglaises lèvent de l’horizon du côté des Pierres Noires … leur nombre sème comme un vent de panique côté franco-breton puisque nombre de bateaux s’en retournent vers Brest. Trois restent pour faire front, la Louise de l’amiral René de Clermont, le petite Nef de Dieppe et la Cordelière. Très vite la Louise quitte le combat, la Cordelière subit alors le gros du choc, met plusieurs navires hors de combat et finit pas se lancer à l’abordage du plus gros vaisseau du moment «  La Régente  » [1]. Le combat fait rage plusieurs heures. On se tire dessus à bout portant. Les vaisseaux sont mal en point. Accident ou geste volontaire le feu se met de la partie. Inférieur en nombre l’équipage de la Cordelière est près de succomber. Certains écrits disent que c’est délibérément qu’Hervé jette le feu dans sa « sainte-barbe ». Les deux vaisseaux explosent et disparaissent aux yeux des témoins. Quelques marins bretons seront recueillis par les Anglais et amenés en Angleterre. Ce final terrible, à la nuit tombante, marque les esprits, les Anglais n’insistent pas et refluent … les pertes sont évaluées à 2 000 hommes ! Hervé et son équipage avaient sauvé Brest de la destruction … les Anglais reviendront … plus tard, pour d’autres histoires !

Suites : il faudra peu de temps pour que la reine Anne soit informée. Nous savons que le capitaine de la Louise fait le voyage de Blois. A-t-il été le seul ? La reine aurait écrasé une larme … en fait la littérature s’empare du sujet. La mode est à la Renaissance italienne et les poèmes épiques sont à l’honneur, la symbolique de l’événement va servir à monter une pièce à la gloire de la souveraine et de son chevalier servant qui a péri par le feu le jour de la Saint Laurent, lequel, rappelons-le a été supplicié sur un grill.

La Bretagne politique a aussi besoin de héros pour estomper les événements terribles qu’elle a subi des Français ces dernières décennies. Germain de Brie, témoin des comptes-rendus, rédige un premier écrit dans les jours ou les semaines qui suivent. C’est celui qui fera le plus de bruit : « Chordigerae navis confl agratio ». Il sera traduit en français l’année suivante par Pierre Choque dit « Bretagne », héraut d’armes de la reine, lequel connaît bien la « Cordelière » puisqu’il y a embarqué à l’occasion d’une campagne. Le texte de Germain est quelque peu partisan. Il est lu jusqu’en Angleterre. Thomas More, écrivain et homme politique anglais, relève les incohérences dans un écrit qui parvient à Germain de Brie, la guerre est à nouveau ouverte, littéraire cette fois, en vers et en latin. Les échanges passent par l’Allemagne, la Hollande …ou l’Italie. Polydore Virgile, italien envoyé par le Pape en Angleterre, ami des deux poètes, essaie de temporiser … d’autres interviennent, Erasme, Guillaume Budé … l’affaire ne s’apaise qu’avec le rapprochement de François 1er et Henri VIII, elle aura passionné toute la « gentry intellectuelle européenne » de l’époque … même Rabelais l’évoquera avec « Hervé le nauchier breton ». Il est vrai que Hervé de Portzmoguer a perdu dans l’affaire son nom … si difficile pour des non-bretonnants. Pierre Choque le traduit, à partir d’un « Primo gaïus » latin, en Primauguet … et nous trouverons toutes les orthographes possibles … Dès lors à l’histoire succincte vont venir se greffer progressivement des éléments parasites.

Ne parlera-t-on pas de l’année 1513 due à Alain Bouchard … une belle coquille d’imprimerie qui aura la vie dure … jusqu’à ce « coquetèle » offert par Hervé à la bonne société brestoise et bretonne de l’époque et qui, la surprise de l’assaut étant, est amenée avec lui au combat … avec femmes et enfants ?

Au XVIII°, Dom Lobineau, ayant séjourné à Saint Mathieu, écrit dans son

Histoire de Bretagne : « … ce nom paraît corrompu … ». Il faut attendre 1844 pour que Auguste Jal, historiographe de la Marine, rétablisse la situation et relie défi nitivement le Primauguet national à notre Portzmoguer breton … il est trop tard, un premier vaisseau de la Marine Nationale navigue déjà sous le premier nom … il sera suivi d’autres dont l’actuelle frégate.

En guise d’épilogue : quant à la descendance d’Hervé on la croyait inexistante ... Fréminville, dans « Antiquités du Finistère » cite pourtant deux marins descendants d’Hervé avec lesquels il aurait navigué au début du XIX°. Yves Lulzac m’a récemment précisé la situation en nommant, grâce à des archives privées, sa seconde épouse. Son dernier descendant direct portant le nom de Portzmoguer s’est éteint à Saint Pol de Léon en 1833.

Rémy le Martret Président de PHASE


[1nous trouvons les deux orthographes « le Regent » ou « la Regente » selon les auteurs