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Pourquoi Saint-Anne ?
Très fréquentée aux beaux jours, la plage de Sainte-Anne ( ou Sainte-Anne du Trez-Hir ) ne s’est pas toujours appelée ainsi...!
Un article d’Yves Chevillotte paru dans le bulletin municipal de Plougonvelin du mois de Septembre 1994 et reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’auteur, nous en retrace l’histoire.
« Petite note d’histoire locale et de toponymie : quand, pourquoi et comment la grève de Keledern prit le nom de Ste Anne ».
Marie-Louise Bonnet de Loery était une créole, née le 25/02/1830 à Ste Anne, Guadeloupe ; elle devait épouser Alexandre Lemonnier, agent de change à Bordeaux, puis directeur de la banque "Le Comptoir du Finistère", à Brest. Ce dernier avait des attaches brestoises puisque né à Brest en 1831 et était le petit-fils d’un négociant en vins originaire de Mantilly, dans l’Orne, qui eut 18 enfants ! Il est connu pour avoir été en 1870 et 1871, Président du Conseil Municipal de Brest, nommé par le Préfet et non maire élu comme on le dit communément, à un moment difficile, celui de la "Commune de Brest", née de la section brestoise de l’Internationale, fomenté par un certain Le Doaré, ouvrier de l’arsenal. Alexandre Lemonnier devait mourir en 1873 ; sa veuve lui survécut jusqu’en 1925.
Le ménage qui habitait Brest, rue du Château, fit l’acquisition, de Pierre Gauthier, d’une grande propriété à la campagne, à Plougonvelin, Kerarstreat. Il désirait posséder un minuscule terrain leur donnant un accès direct et privé à la plage, situé dans une échancrure de la falaise, presque sous leur parc. Alexandre Lemonnier écrit donc au Préfet le 25 septembre 1871, juste avant sa démission de Président du Conseil Municipal de Brest le 25/11/1871 pour lui demander si le terrain convoité ne faisait pas partie du domaine maritime et s’il était possible que la commune le vende. Le Préfet fit répondre par l’Ingénieur en chef des Travaux Publics que la commune n’avait aucun titre de propriété sur ce terrain, qu’il donnait un avis défavorable et précisait que « le Maire de Plougonvelin, lui-même, avait exprimé le désir qu’il ne fut pas aliéné ».
Les choses évoluèrent : Madame Lemonnier, devenue veuve, pensait toujours à son terrain, le maire Valentin Michel, de Poulherbet a besoin d’argent pour boucler son budget et, puisque tous le monde est d’accord, le Préfet l’est aussi et donne l’autorisation le 28/08/1874. Aussi est mis en adjudication, et annoncé par voie d’affiche, par Maître Prosper Michel, notaire au Conquet, la vente, le 1er octobre 1874, "au terroir de Keledern, en Plougonvelin, une portion de terre vague, délimitée
au nord par le chemin longeant la grève et la séparant de la propriété de Madame Lemonnier, à l’est et à l’ouest par d’autres portions de dunes, au sud sur la grève dite de Keledern". Contenance : 1 are 25 centiares et la mise à prix est de 50 francs. L’expertise du terrain, estimation et contenance, a été faite par François Le Gac, de Plouzané. Le terrain n’est pas cadastré.
Le 1 Octobre 1874 eut lieu la vente d’un terrain vague le long de la grève dite de «Kereledern».
L’affiche annonçant l’adjudication est reproduite ci-contre
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Les enchères furent passionnées et chèrement disputées, car, de la mise à prix de 50 francs, on atteignit 1505 francs , 30 fois plus, par enchères de 5 francs, soit 291 enchères ! La dernière mise fut celle de Madame Lemonnier, déclarée adjudicataire à l’extinction des derniers feux.
On peut se demander qui avait intérêt à enfler si follement les enchères : bien que le nom ne soit précisé, il ne peut s’agir que d’une autre riche veuve, Madame Eugénie Le Jeune, propriétaire des terrains surplombant ceux de la ferme de Keledern.
Le rêve réalisé, le terrain acquis, Madame Lemonnier demande à un certain Kerautret de construire un mur de soutènement, qui, pour ce faire, demande au Préfet un alignement qui est donné le 8-07-1875 dans les formes : la limite des plus hautes mers d’équinoxe, définition depuis l’édit de Moulins, du domaine public maritime par définition imprescriptible et inaliénable.
Il est probable que la mer ne monta pas bien haut car la surface du terrain qui fut cadastré sous le numéro C 514 est de 1230 m2, soit 8 fois la surface acquise. Moïse ne fit-il pas reculer les flots de la mer ?
L’entrepreneur construisit alors un mur soigné, avec chaînage de pierres de taille en granit, avec un double escalier métallique d’accès à la plage dont on voit encore les restes.
En 1884 Madame Lemonnier, ayant une grande dévotion à Ste Anne qui avait donné son nom à la ville qui la vit naître, fit dresser sur un petit promontoire aménagé, au milieu du terrain une statue de Ste Anne en kersanton, une pierre foncée, au grain fin, facile à sculpter, car tendre au sortir de la carrière. Faute de signature, on ne sait qui l’a faite : l’abbé Castel , spécialiste de la statuaire bretonne, pense à un marbrier de Brest, Victor Lapierre , au nom prédestiné ; ce n’est pas le style de Larchantec de Landerneau, ni de Hernot de Lannion. C’est une statue classique, dans le genre St Sulpice, très sage, correspondant à la piété un peu étriquée de l’époque, très différente de celle érigée récemment à St Anne du Porzic, représentant une Mère de la Vierge opulente, aux agréables rondeurs, dûe au ciseau de Patrig Le Goarnig.
Le socle de la statue porte l’inscription bretonne :
« Stes Anna Kenastreat, pedit evidomp, exauch a c’hanomp. 1884 ».
En français : « Ste Anne de Kerastreat priez pour nous et exaucez-nous. 1884 ».
Exauch n’est pas du breton si ce n’est de sacristie, familièrement dit brezoneg saout, le breton que parleraient les vaches.
C’est à partir de ce moment, 1884, que la grève de Keledern dominée et protégée par une statue de Ste Anne prit son nom actuel.
Après la mort de Madame Le Jeune, en 1894, la famille Chevillotte-Mével, devenue propriétaire de Keledern voulut avoir, elle aussi, un accès direct et privé à la grève de Ste Anne. Elle obtint, au début du siècle, du Maire de l’époque de construire, à ses frais, un escalier dans la falaise aboutissant à une plate-forme sur laquelle, en dehors des grandes marées, était fixée une cabine.
On en voit encore les vestiges, bien malmenés par les travaux d’interdictions de la plage, lors de la construction du "Mur de l’Atlantique". »