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Que peut-on encore écrire sur la Belle Cordelière ?
Attention, ceci n’est pas de l’histoire, même si le cadre peut en paraître historique.
C’est UNE histoire, librement imaginée.
A chacun donc, s’il le souhaite, de reconnaître le moment où il quitte la grand-route du réel pour les sentiers – boueux ou fleuris – de l’imaginaire.
Un ex-voto dans la chapelle Saint-Yves
« La Cordelière » ? Encore ? Mais tout a été dit, sur la grande Caraque bretonne, sur son capitaine Hervé de Porzmoguer, sur sa fin tragique et glorieuse ... Tout a été dit, écrit, chanté, joué, dansé ...
...les archives anglaises, françaises, bretonnes, ont été lues, analysées, critiquées...
...les fonds marins, entre Créac’hmeur et le Toulinguet, ont été sondés, brossés, ratissés ...
...même l’hagiographie a été interrogée, pour tenter d’établir une relation entre la mort dans les flammes de tant de braves, et le martyr sur le gril de saint Laurent, dont c’était justement la fête ce jour-là, 10 août 1512 ...
Alors que dire encore quand tout a été dit ? Que dire sans être aussitôt contredit ? Par exemple, on pourrait parler de notre duchesse Anne, Reine de France, de son amour du pays de ses aïeux, de sa dévotion à sa sainte patronne, du nom dont elle baptisa sa belle caraque, qui avait coûté tant d’écus aux bourgeois de ses bonnes villes : (« la Cordelière », ou « la Belle Cordelière », ou « Marie la Cordelière », en référence à l’ordre religieux qu’elle aurait fondé ?) ou parler de ce navire lui-même, de ses voiles,de ses haubans et de ses pavois, de sa coque et de ses châteaux impressionnants,de sa redoutable artillerie, et aussi de ses escapades jusqu’au fond de la Mer Egée,de ses capitaines, de ses équipages ou parler de Messire Hervé de Porzmoguer , de ses enfances au manoir éponyme près de Plouarzel, de sa jeunesse aventureuse en marge des règles et des lois, mi-noble et mi-brigand, cruel et bon, pauvre et immensément riche. Ah ! Quel magnifique hidalgo il aurait fait, s’il était né quelques centaines de lieues plus au sud, quel conquistador !
Mais on peut aussi, et c’est à cela qu’on va s’essayer, entrer dans l’inépuisable champ de l’imaginaire et du romanesque. Nous allons donc raconter les amours et les malheurs d’une jeune passagère de la Cordelière, emportée dans le tourbillon de la dernière bataille, dans le combat mortel de la Cordelière et du Régent le jour de la Saint-Laurent de l’an 1512 .
Vous vous rappelez sûrement que ce jour-là messire Hervé de Porzmoguer avait convié toute la noblesse léonarde, de terre ou de mer, à venir visiter la Cordelière. Il y avait grande fête à bord, des belles dames dans leurs plus brillants atours, des jeunes nobles, fiers et légèrement méprisants, de riches marchands un peu ventrus de Landerneau, Lesneven, Morlaix. Le navire était richement pavoisé. De grandes tentures aux couleurs vives masquaient les parties du bateau qui ne devaient pas être vues des hôtes délicats et raffinés qui se pressaient à bord. Or la fête ne se passait pas à Brest comme prévu. Elle avait été « délocalisée » à Plougonvelin
En effet, la flotte Franco Bretonne du Vice-amiral René de Clermont était sortie de la rade de Brest depuis deux ou trois jours déjà et la Cordelière avec. On avait signalé une importante escadre au nord d’Ouessant, et pour ne être pris au nid, on avait décidé de venir mouiller en baie de Bertheaume. C’est donc là, au mouillage, qu’Hervé de Portzmoguer avait reçu ses invités, leurs épouses et leurs suites. Les faire faire venir de Brest au Trez-Hir, puis monter à bord n’avait pas été une mince affaire, les faire redescendre à terre sera une autre paire de manches !
Car bientôt c’est l’heure du combat !
Quand les Anglais tournent les Vieux Moines et se déploient, la flotte est prête, sonneries et signaux sont échangés et tout le monde appareille, sus à l’ennemi !
Hervé de Portzmoguer tarde sans doute un peu à interrompre sa grande réception, mais il faut bien s’y résoudre. Les ordres claquent : les tentures à la mer, les viandes et les pâtisseries aux poissons, les barriques, vides ou pleines, par dessus bord ... et les visiteurs sur la plage.
Rien n’est prévu pour ce transbordement en urgence, les petites embarcations des pêcheurs qui tournaient autour de la caraque font la navette le plus rapidement possible, mais c’est lent, très lent et Portzmoguer s’impatiente. Les autres vont croire qu’il renâcle !
Et puis du côté des passagers on n’y croit pas trop et on prend tout son temps. Les ’jeunes nobles font les fanfarons, disant « Je veux me battre ». Les jeunes filles rient en montrant leurs mollets, puis font les délicates, se bouchant le nez parce qu’un bateau de pêche, ça sent le poisson. Les belles dames ne veulent pas se mouiller en débarquant : il faut les porter ! Et ça rit, et ça crie Il faut dire que plusieurs coupes de vin de Bordeaux avaient déjà été vidées (du vin « anglais », saisi en mer lors d’une précédente sortie, bien sûr !)
Oui, c’est triste à dire, mais si ce jour n’avait pas été aussi tragique, on aurait pu admirer sur le sable du Trez-Hir plus de brocards et de chapeaux à plumes qu’on n’en avait jamais vu, et qu on ne reverra jamais ! Dommage, il n’y avait ni Ouest-France, ni Télégramme @
Quand enfin, la Cordelière, énorme et fière, toutes voiles dehors, appareille et prend majestueusement un peu de vitesse, traînant derrière elle les lambeaux des tentures rouge et or qui la décoraient , le transbordement n’est pas achevé, et il y a encore des passagers à bord. Ce sont des hommes, pour la plupart. Ils vont combattre et mourir de façon tout à fait honorable dans leurs beaux habits de fête. Mais il y a aussi une toute jeune fille à laquelle, si vous le voulez, nous allons maintenant nous intéresser un peu.
Elle s’appelle Anne, comme la Reine Elle est demoiselle dans la suite de Madame de Penanncoet. Elle est née près de Trémaouézan. Et un échange de regards a suffi, quelques jours auparavant sur les quais de Penfeld, pour que naisse un amour encore muet entre cette demoiselle et un presque aussi jeune novice de la Cordelière. Il s’étaient à peine vus à Brest, et à bord il n’est pas question de l’ombre d’un échange ... d’ailleurs le maître d’équipage se charge de trouver toujours aux novices de saines et sportives occupations.
Nous ne raconterons pas tous les épisodes de la bataille :
Retrouvons la Cordelière, deux ou trois heures après son appareillage, engagée dans son duel mortel, bord à bord avec le Régent. Les deux navires géants, sont inextricablement liés l’un à l’autre, leurs matures enchevêtrées, des dizaines de grappins les amarrant l’un à l’autre ...
De sauvages corps à corps se livrent dans plusieurs endroits de ce champ clos unique que constitue la masse confuse des deux navires. Tous deux sont en feu. L’immense explosion va tout engloutir Mais déjà nos deux tourtereaux ne sont plus à bord. En plein combat, mélangés à une grappe de soldats et de matelots bretons et anglais, Ils ont été précipités à la mer.
Une seule unique et énorme explosion, une vague gigantesque , une pluie de débris, un sinistre nuage noir rampant sur la mer, puis le silence, silence de mort seulement ponctué de quelques cris d’appel ou de souffrance. Accrochée à un débris de bois qui flottait à proximité, notre jeune Anne cherche en vain son petit novice ... avant de comprendre que peut-être il était déjà mort quand il a été entra7iné avec elle par dessus bord. Comment s’appelait-il, au fait " Nul ne le sait. Il restera, pour elle comme pour nous, définitivement anonyme.
A la nuit tombée, le combat s’est éteint, des barques errent encore sur les lieux, cherchant des rescapés. Anne est recueillie par la yole d’un officier anglais qui la dépose sur la grève de Poulzerbe, au pied de la falaise. Il n’y a pas de cellule de soutien psychologique, mais les habitants des villages voisins viennent la recueillir, la réconfortent et tentent de la consoler.
Quelques semaines plus tard, Anne reviendra, tentera d’avoir quelques nouvelles de son joli novice de la Cordelière. En vain. Avant de repartir inconsolée, elle ira s’asseoir un moment sur la grève de Poulzerbe, ou un anglais inconnu l’avait mise à terre. Après avoir pleuré un bon coup, elle ramassera sur le sable un morceau de bois vaguement carré rejeté par la marée, possible souvenir de La Cordelière Ne la détrompons pas, il peut venir aussi du Régent.
Sur ce bout de bois, elle voit un signe grave, comme une croix, ou un x, ou une simple éraflure. Avant de retourner chez elle, du côté de Landerneau, Anne ira déposer ce petit ex-voto dans la chapelle la plus proche, la chapelle Saint-Yves , au dessus de la plage du Trez-Hir.
La chapelle Saint-Yves a disparu, l’ex-voto aussi. Il. a sans doute pourri au milieu des ruines, avant de se fondre dans le sol. Mais peut-être ce bois dur, ce bois marin, a-t-il été préservé, dernier et unique vestige de la grande et belle Cordelière, ou naquit et mourut en un seul jour l’amour d’un jeune novice et d’une petite suivante landernéenne.
Alors, si jamais .....
Confié à PHASE par G. Vaillant.
Version imprimablePublié dans les Echos de Plougonvelin de juin 2009